La littérature jeunesse, s’adressant aux enfants de différentes tranches d’âge, se décline en une palette de plusieurs nuances selon le lectorat visé. Par conséquent, du point de vue du fond et de la forme, on peut se demander comment il conviendrait de définir l’album jeunesse en comparaison des divers ouvrages qui se trouvent sur le marché du livre destiné à la jeunesse.
Pour répondre aux questions les plus fréquemment posées par les auteurs débutants, en ce qui concerne l’album jeunesse, Le pigeon décoiffé a recueilli les propos de monsieur Simon de Jocas, président des éditions Les 400 coups, une maison d’édition montréalaise spécialisée en albums pour la jeunesse.

(Crédit photo : Manon Bourgeois)
Bien plus que des mots et des images
Selon monsieur de Jocas l’album jeunesse ne se situe pas dans une forme fixe et, comme d’autres genres, il peut lui aussi transgresser les notions établies. « Aux 400 coups nous venons de mettre sur pied une exposition qui reprend justement cette idée. L’album documentaire, l’album BD, l’album beau livre, l’album qui se transforme pour devenir film ou théâtre », nous apprend-il.
C’est donc dire que l’album jeunesse cherche lui aussi à se réinventer perpétuellement et qu’il recèlerait plus de possibilités qu’on le pense de façon générale.
Un lectorat relativement large
L’album illustré comporte néanmoins des caractéristiques particulières qui permettent de le cerner un peu mieux tout en considérant le monde de possibles qui s’ouvre à lui.
D’emblée, on s’entend pour dire que ce genre d’ouvrage s’adresse essentiellement aux tout-petits. Selon la thématique, et lorsque celle-ci est bien traitée, l’intérêt que suscite l’album illustré peut toutefois interpeller les enfants âgés entre un et dix ans.
À ce sujet monsieur de Jocas — qui détient par ailleurs une expertise de conseiller pédagogique — affirme : « J’ai trop souvent entendu une enseignante de 3e année (10 ans) dire à ses élèves, en passant par notre stand : “C’est trop bébé pour vous”. La réalité est tout autre. L’album se redéfinit en fonction de l’âge du lecteur. Contrairement au roman qui peut être inaccessible au plus jeune, l’album se définit comme accessible à tous et chacun le lit en fonction de son expérience de vie. »
Et cela est sans considérer, faut-il le dire, que la littérature jeunesse bénéficie de ce qu’il convient d’appeler un double lectorat (adulte-enfant). C’est une littérature particulière, trop souvent mésestimée, dont la portée est pourtant très vaste.

La question du double lectorat
On pourrait croire que ce double lectorat, dont on parle souvent au sujet de la littérature jeunesse, pourrait être propre à embêter voire paralyser l’inspiration d’un auteur qui, en ayant pris conscience, souhaiterait écrire en fonction de celui-ci. Mais un auteur devrait-il vraiment en tenir compte au moment d’écrire ?
Monsieur de Jocas, à qui Le pigeon décoiffé a posé la question, est d’avis contraire : « J’espère que celui qui écrit une histoire, l’auteur ou l’autrice, ne s’arrête pas en se demandant s’il ou elle rejoint un double lectorat. L’idée qu’un texte puisse rejoindre un enfant et un adulte est plus souvent, je crois, un témoignage de la force de l’auteur de s’imaginer autant dans la tête de l’enfant sans pour autant s’oublier comme adulte. »
Lire aussi à ce sujet : Écrire pour la jeunesse: adapter son texte en fonction du lectorat
De la difficulté d’écrire pour la jeunesse
Beaucoup d’auteurs qui souhaitent écrire pour la jeunesse ne mesurent pas très bien le défi que cela représente. Le fait est que la tâche est moins simple qu’elle le paraît. À ce sujet, monsieur de Jocas affirme que de raconter en peu de mots une histoire représente l’un des premiers et plus grands défis de l’auteur jeunesse. « Je me rappelle, comme prof, que lorsqu’on donnait une contrainte de nombre de mots à nos élèves, les plus talentueux pour les longs récits trouvaient ça incohérent d’être limité. Mais, pour être auteur jeunesse, c’est exactement ça qu’il faut : tout dire dans le moins de mots possible. Et je nuance : “Tout dire” ne veut pas dire “Dire tout”, mais plutôt offrir assez pour permettre à l’imaginaire de croître, à la curiosité de naître. »
Si vous êtes auteur et que l’envie d’écrire pour la jeunesse vous titille, il vaut donc la peine de prendre le temps de vous interroger à savoir quelles sont vos motivations et de quelle manière vous pouvez apporter votre petite touche personnelle à ce paysage littéraire déjà foisonnant.
Les albums illustrés représentent une difficulté supplémentaire : « Les illustrations ce sont les compléments à l’histoire, déclare monsieur de Jocas. Si les illustrations ne font que refléter le texte… c’est manqué. Il faut que les illustrations enrichissent et donnent des éléments que le texte n’a plus besoin de dire. Beaucoup d’auteurs de genre adulte (roman, essai, etc.) se sont cassé les dents sur la prose jeunesse. Leurs traces sont trop lourdes, trop explicites, trop perdues dans le monde d’un adulte ou pire essayant de réduire l’enfant à un être vide que l’on doit remplir. »
L’illustration se révèle donc indissociable du texte; l’un et l’autre se complètent en assumant, chacun à leur manière, un aspect de la narration. La complicité de l’auteur avec l’illustrateur est de première importance. L’auteur du texte ne détient pas à lui seul l’aspect créatif de l’ouvrage. Il s’agit d’un travail de collaboration et de complémentarité ; c’est un peu comme écrire à quatre mains.
L’idée qu’un texte puisse rejoindre un enfant et un adulte est plus souvent, je crois, un témoignage de la force de l’auteur de s’imaginer autant dans la tête de l’enfant sans pour autant s’oublier comme adulte.
Simon de Jocas
Soumettre un manuscrit d’album jeunesse
Côté pratico-pratique, sous quel format doit-on présenter le manuscrit d’un album jeunesse ? Plusieurs auteurs inexpérimentés se le demandent, car étant donné que le texte est très court, celui-ci ne semble pas pouvoir être mis en page comme le manuscrit d’un roman. Y a-t-il des règles de standardisation à respecter ?
On présente généralement le manuscrit en format Word, Times New Roman de taille 12, à double interligne. Il est possible d’y ajouter des commentaires suggérant des idées de reliure ou de format. Monsieur de Jocas souligne que peu d’auteurs sont graphistes et que d’essayer de monter son texte dans un format particulier risquerait de s’avérer plus désagréable qu’autre chose et même qu’à la limite, cela pourrait carrément rebuter un éditeur qui aurait des centaines de manuscrits à lire.
Leçon à retenir, donc ; la simplicité doit être privilégiée.

Peut-on inclure des illustrations avec un manuscrit?
Qu’en est-il des illustrations et des esquisses quand on veut faire parvenir un manuscrit d’album jeunesse à un éditeur ? Faut-il ou non en inclure ?
Le fait est qu’on peut en ajouter au document, dans ce cas particulier, mais qu’il faut être conscient que cela peut s’avérer un couteau à double tranchant. Il faut en effet bien penser le tout, car tel que le souligne monsieur de Jocas, « Certains auteurs sont aussi (et surtout) illustrateurs, il va de soi qu’ils proposent un manuscrit illustré. D’autres ne le sont pas et souvent leurs illustrations sont plus des distractions qu’un réel appui au texte. Parfois, deux créateurs chevronnés présentent conjointement un projet. Nous avons déjà, dans le passé accepté de tels projets. Mais attention, si votre texte est chouette et que les illustrations de votre collègue ne le sont pas. Ça nous met dans une drôle de position à devoir vouloir le texte, mais pas les illustrations. »
Que faire si on ne connaît aucun illustrateur ?
Un auteur peut-il faire parvenir son manuscrit à un éditeur et compter sur celui-ci pour associer un illustrateur à son projet s’il est retenu pour publication ?
Aux 400 coups, monsieur de Jocas affirme que c’est de cette manière que l’on procède habituellement. Cela se fait évidemment en consultation et concertation avec l’auteur du texte.

Combien de mots pour un album jeunesse ?
Sachant que les illustrations occupent une part importante du contenu, combien de mots compte habituellement un album jeunesse ?
Cela dépendra du contexte, précise Simon de Jocas. Il affirme que certains albums n’ont aucun mot et qu’ils laissent place à l’illustration pour raconter l’histoire. «Parfois, il y en aura deux milles. Ce qui comptera le plus, dans l’album jeunesse, c’est que ce soit juste le bon nombre de mots pour 1) éviter de répéter ce que nous montre les illustrations 2) amener le lecteur dans l’imaginaire de l’auteur sans trop lui en donner. »
Tout serait donc affaire de pertinence et d’équilibre. Du cas par cas, autrement dit ! Même chose pour les caractéristiques littéraires (contenu narratif, vocabulaire, style, etc.) de l’album jeunesse. Toujours selon monsieur de Jocas, il n’y en existerait pas de typique. « Le contenu narratif, le vocabulaire, le style, etc. changeront en fonction de l’objectif de l’auteur. »
Cela revient donc à dire qu’aucune recette n’existe afin de permettre à un auteur de concocter un album jeunesse. Les paramètres ne sont pas fixes et doivent au contraire se moduler aux autres composantes afin que le fond et la forme constituent un tout adapté, pertinent et cohérent.
Quelles sont les erreurs à éviter ?
Certaines erreurs s’avèrent fréquentes et il faut voir à les éviter tant dans l’écriture que la soumission d’un manuscrit d’album jeunesse.
Il va sans dire qu’il vaut mieux se faire relire par des bêta-lecteurs et/ou un conseiller littéraire avant de soumettre votre manuscrit. Il se peut bien sûr que vous récoltiez des avis différents, toutefois ceux-ci vous permettront de reconsidérer le contenu de votre texte et de le peaufiner avant d’amorcer votre quête d’un éditeur.
« De plus, insiste monsieur de Jocas, il faut prendre le temps de faire le tour des maisons pour bien comprendre leur ligne éditoriale. Rien ne sert d’envoyer un manuscrit à une maison qui ne publiera pas le genre que vous avez écrit. Aux 400 coups on reçoit régulièrement des romans. Nous ne faisons pas de roman. » Ces quelques recherches et mesures de précautions vous éviteront d’être submergé par les lettres de refus.
En ce qui le concerne plus spécifiquement, monsieur de Jocas précise que la politique éditoriale des éditions Les 400 coups a été établie comme suit afin d’évaluer si un texte proposé correspond aux intérêts de la maison : « De façon générale, nous ne souhaitons pas de texte à “leçon” ou moralisateur. Nous ne cherchons pas de texte où l’auteur sent le besoin de tout expliquer. Nous aimons particulièrement les textes qui émanent comme le point de vue d’un enfant. Nous aimons les fins décalées, surprenantes, les histoires qui bousculent. »
Il reste qu’au-delà des lignes éditoriales, la plupart des éditeurs s’entendent pour dire que l’édition c’est aussi, et surtout, une affaire de coups de cœur !
Il faut prendre le temps de faire le tour des maisons pour bien comprendre leur ligne éditoriale. Rien ne sert d’envoyer un manuscrit à une maison qui ne publiera pas le genre que vous avez écrit.
Simon de Jocas
L’album jeunesse à l’international
Y a-t-il un marché d’exportation pour l’album jeunesse ? Y a-t-il des choses qu’un auteur devrait savoir à ce sujet et dont il devrait tenir compte lors de l’écriture ?
Il appert que le marché international pour la vente de droits est extrêmement intéressant pour les éditeurs jeunesse. Monsieur de Jocas affirme que « L’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient sont tous à la recherche de livres. Certains pays, certaines cultures sont plus frileuses sur certains thèmes ou encore sont moins enclines à aborder des sujets controversés (famille d’accueil, les relations hors mariage, etc.), mais cela ne devrait pas être des indicateurs pour la création d’un texte. »
À la lumière de cette considération, il semble préférable de laisser aller son esprit créatif et de ne pas se laisser freiner en fonction des marchés d’exportation possibles. Un ouvrage bien écrit, et bien présenté sur le marché international, saura tôt ou tard trouver le marché qui lui convient si l’exportation est envisageable.

Certains pays, certaines cultures sont plus frileuses sur certains thèmes ou encore sont moins enclines à aborder des sujets controversés (famille d’accueil, les relations hors mariage, etc.), mais cela ne devrait pas être des indicateurs pour la création d’un texte.
Simon de Jocas
Le défi que représente aujourd’hui l’album jeunesse
Le fait est que le marché de l’album jeunesse, tout comme celui de la littérature jeunesse dans son ensemble, s’est développé à vitesse grand V ces dernières années. Si cela peut sembler très positif, cela n’en comporte pas moins pour autant un revers important.
Monsieur de Jocas, interrogé au sujet du plus grand défi de l’album jeunesse à l’heure actuelle dans l’univers du livre, répond : « La surpopulation du genre. Surtout avec la France qui publie un nombre phénoménal de titres par saison, les livres n’ont pas la chance d’être assez longtemps sur les rayons. Les libraires font ce qu’ils peuvent, mais ils croulent sous le lot incessant de livres à présenter. Heureusement, les libraires québécois font un effort considérable pour s’occuper des éditeurs québécois. »
Cela tend à démontrer qu’un auteur d’album jeunesse publiant au Québec doit d’abord et avant tout miser sur une publication locale et prendre garde de ne pas trop rêver en couleur pour ce qui est d’une possible exportation. S’il est difficile de trouver un éditeur, il faut savoir qu’il peut l’être tout autant d’avoir accès au marché international. Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus !
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L’importance de comprendre son public cible en littérature jeunesse permet à l’auteur de s’adresser à celui-ci de manière appropriée. Que ce soit en regard de la longueur du texte, dans le choix des mots, des thèmes ou de l’aspect émotionnel de l’histoire, l’écriture destinée à ce lectorat comporte ses exigences particulières.
Votre livre jeunesse est-il pertinent, efficace et bien adapté à son lectorat? Obtenez à ce sujet l’avis d’un conseiller littéraire professionnel.
