Avant d’aborder le sujet de la littérature jeunesse, il conviendrait de la définir, me diriez-vous. D’un point de vue simpliste, on pourrait se contenter d’affirmer qu’il s’agit d’histoires s’adressant aux enfants et aux adolescents. Or il s’avère que la littérature jeunesse se révèle tout en nuances et n’est pas aussi facile à définir qu’on pourrait le croire; elle correspond en fait à un large lectorat — qui dépasse celui initialement prévu — se décline en plusieurs genres (contes, albums illustrés, récits, romans, bandes dessinées, etc.) et aborde mille et une thématiques. Il vaudrait donc mieux éviter de la réduire à son plus simple dénominateur.
La mauvaise réputation de la littérature jeunesse
Ce qui préoccupe, en matière de littérature jeunesse, c’est la manière dont elle est généralement perçue. Il n’est pas rare qu’elle se retrouve, bien malgré elle, au centre de divergences d’opinions, voire de polémiques. Il faut croire qu’elle n’est pas aussi anodine qu’elle en a l’air…
À la suite du formidable élan de croissance dont elle a bénéficié ces dernières années, la littérature jeunesse reste encore aujourd’hui, malgré tout, la laissée-pour-compte de la littérature. On la considère bien souvent en marge de « LA » littérature; on la méconnaît, la discrédite, on va même jusqu’à la mépriser, et cela, la plupart du temps, pour la simple et bonne raison qu’on en parle au travers son chapeau. Et cette négligence d’approfondir sa connaissance du sujet n’est pas l’apanage des néophytes en la matière; des littéraires réputés [1] se confinent dans leur ignorance crasse et lèvent le nez sur ce qu’ils considèrent avec désinvolture comme de la « sous-littérature ».
L’auteur Martin Page constate que « pour les autrices et les auteurs, ce n’est pas simple à vivre, ça a des conséquences. Cela signifie être moins payé, par exemple. Mais comme tout art méprisé, c’est un art extrêmement libre. Nous ne créons pas pour la reconnaissance, des hochets ou des médailles. Nous n’attendons pas la validation de la critique ou de l’université. Nous savons que nous n’aurons aucune reconnaissance. Et en un sens, c’est une libération : notre art est libre, et ainsi il est inventif. Il me semble que la littérature jeunesse est infiniment plus riche que la littérature adulte. L’art des méprisés est le seul grand art. Il est imperméable à l’officialisation et à l’institutionnalisation. »
La légitimité de la littérature jeunesse
On a tendance à croire que la littérature jeunesse se doit de justifier son existence par des visées dépassant celle du simple plaisir de la lecture. On attend d’elle qu’elle soit omniprésente dans le milieu scolaire et familial, qu’elle se révèle éducative, et on n’ose pas imaginer qu’elle puisse se permettre d’être subversive. On aime la concevoir à l’intérieur de certaines balises sociales et répondant à des objectifs pédagogiques précis sans quoi on la considère comme étant relativement futile et sans légitimité. L’agent littéraire David Pathé-Camus, également auteur ainsi qu’ancien éditeur, estime que cette légitimité ne fait pourtant pas de doute et que la question de la valeur littéraire ne devrait même pas se poser. « Dans l’expression “littérature Jeunesse”, il y a le mot “littérature”. Tout est dit. » résume-t-il le plus simplement du monde.
La méprise des aspirants auteurs et du milieu littéraire
Il reste qu’influencés par la propagande insouciante des littéraires dédaigneux, ainsi que par une conception des plus conservatrices en regard du contenu des œuvres destinés à la jeunesse, bien des auteurs débutants croient à tort qu’il est facile d’écrire pour les enfants, ces lecteurs « peu exigeants » qui se « contentent d’une jolie histoire » sans penser à en critiquer le fond ou la forme. L’auteur qui en est à ses premières armes s’estime en terrain connu, dans sa zone de confort, laquelle croit-il ne devrait pas exiger de lui trop d’efforts… et c’est avec naïveté qu’il ose s’aventurer dans l’écriture sans mesurer l’ampleur de la tâche.
« Estimer que la littérature jeunesse serait plus facile à écrire parce qu’elle s’adresse à des jeunes gens est le signe d’un profond mépris pour eux, déclare Martin Page. On appelle ça de l’âgisme et c’est un fléau. Les enfants ne sont pas des êtres inférieurs, et ceux qui travaillent pour eux ou avec eux ne sont pas des artisans ou des artistes de seconde catégorie. »
Hélène Desputeaux, écrivaine et illustratrice, créatrice du célèbre Caillou, affirme pour sa part que « pour écrire ou illustrer des albums pour les enfants et les tout-petits il faut bien les connaître. Les observer, les écouter et surtout avoir des connaissances en psychologie, en pédagogie et connaître les différentes étapes de leur développement. Dire pour les enfants n’est pas simplement aligner des petites phrases courtes. Chaque mot est précieusement choisi. Le texte qui est court doit avoir sa propre musicalité. La structure du texte est très importante. On doit raconter en peu de mots et en peu de pages. »
Du côté de l’édition, Jimmy Gagné, fondateur des Éditions Panda, abonde dans le même sens : « Je pense que pour écrire un bon livre pour enfant, il faut avant tout avoir au moins la passion des enfants, avoir encore son cœur d’enfant également. Mais des aspects plus techniques doivent faire partie de la recette pour que le gâteau lève et que l’on puisse souffler les bougies à chaque anniversaire de ce livre. » Il ajoute même que, selon son expérience, « écrire avec peu de mots n’est pas simple contrairement à la pensée populaire. Les auteurs jeunesse en série le disent, écrire pour les jeunes, c’est compliqué. »
Lorsqu’on demande à David Pathé-Camus ce qu’il conviendrait de conseiller à un auteur qui souhaite se lancer dans la littérature jeunesse, il répond : « Tout ce que je peux dire —, et cela du point de vue de l’agent d’auteurs jeunesse vendus chez les meilleurs éditeurs qui soient — c’est qu’il est indispensable d’en avoir lu. Beaucoup. » Il témoigne du fait que les mentalités ont évolué au fil du temps : « Il y a 20 ans, quand j’ai commencé dans l’édition, des éditeurs me disaient : pour la jeunesse, il faut des textes courts, avec des phrases courtes — verbe, sujet, complément. C’était n’importe quoi, selon moi. Et puis Harry Potter est arrivé! »
Chloé Varin, auteure et chroniqueuse littéraire, est à même de le constater. Lorsqu’elle parle des jeunes lecteurs, elle souligne leur perspicacité : « Pour capter leur attention et la retenir, l’écriture se doit d’être rythmée et l’intrigue, bien ficelée. On ne peut leur en passer de “petites vites”. Ils sont très observateurs et remarquent des détails qui échappent au commun des adultes. » Elle déclare même que l’on découvre, à force de les fréquenter et de recueillir leurs impressions de lecture, que « grâce à une intelligence émotionnelle à fleur de peau, ils absorbent et assimilent la gamme d’émotions vécues par leurs héros. Mais encore faut-il qu’ils puissent s’y s’identifier. En effet, si la voix du narrateur n’est pas crédible, si l’histoire souffre d’incohérences ou de longueurs, les lecteurs ont vite fait de décrocher et de passer au suivant. Car, on ne se leurrera pas, l’offre en littérature pour la jeunesse est de plus en plus foisonnante. Les auteurs doivent rivaliser d’audace et d’originalité pour s’attirer un lectorat surstimulé. »
Le double lectorat de l’édition jeunesse
Qui plus est, il faut prendre en considération que les livres pour la jeunesse ne concerne pas que les jeunes lecteurs, et cela constitue d’ailleurs une caractéristique très particulière de ce type de littérature. On parle en effet, pour désigner ce constat, de « double lectorat », en ce sens que l’ouvrage destiné à l’enfant sera lu par un intermédiaire : un parent, un grand-frère, une gardienne, etc. sinon avec l’aide de celui-ci, selon les capacités du jeune lecteur. Et si ce dernier est autonome dans sa lecture, le livre lui sera à tout le moins recommandé par un tiers; un bibliothécaire, un libraire, un professeur, etc. qui aura préalablement lu lui-même l’ouvrage pour s’en faire une idée. Dans tous les cas, que ce soit pour un roman, un récit ou un album jeunesse, il ne faut pas négliger le fait que le livre doit plaire autant à l’adulte qu’à l’enfant, sans quoi on n’en fera pas lecture ou on n’en fera pas la recommandation.
Bref, l’auteur qui souhaite écrire pour de jeunes lecteurs doit bien connaître son lectorat, avoir conscience des contraintes d’écriture que cela représente, et prendre en considération l’ampleur du défi que représente la littérature jeunesse.
[1] Thibaut Dary, consultant en communication et journaliste spécialisé dans la bande dessinée, signait en 2014 dans Le Figaro Magazine un article où il ne se gênait pas pour affirmer que « les idées creuses, la faiblesse d’inspiration, l’indigence culturelle, les clichés narratifs, la paresse intellectuelle, le travail bâclé, la laideur et la vulgarité, font partie des rencontres possibles et fréquentes dans les pages de la littérature de jeunesse ». Dans le même ordre d’idées, l’animateur François Busnel, journaliste, critique littéraire, producteur et animateur de télévision et de radio français, a lui aussi un jour, dans une chronique, accusé la littérature jeunesse de n’être qu’« une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons d’édition en mal de chiffre d’affaires. » Inutile de préciser que les réactions du milieu littéraire jeunesse, dans ce genre de circonstances, ne tardent pas à fuser de toute part.
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L’importance de comprendre son public cible en littérature jeunesse permet à l’auteur de s’adresser à celui-ci de manière appropriée. Que ce soit en regard de la longueur du texte, dans le choix des mots, des thèmes ou de l’aspect émotionnel de l’histoire, l’écriture destinée à ce lectorat comporte ses exigences particulières.
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