L’incipit désigne le premier mot d’un ouvrage. D’un point de vue littéraire, l’idée se résume à la première phrase, à celles qui s’ensuivent ou même aux quelques premiers paragraphes d’une œuvre. C’est l’entrée en la matière et certains auteurs l’ont érigé au rang d’art véritable, à tel point que certains incipit sont passés à la postérité.

Il y a bien sûr des incipit classiques, incontournables, comme le fameux « Il était une fois… » des contes merveilleux de notre enfance. Cette formule toute faite, qui semble sans originalité, a toutefois l’avantage d’annoncer clairement que l’histoire qui va suivre se conforme à un genre particulier et l’horizon d’attente du lecteur se créera en conséquence.

Autrement, observons quelques incipit plus originaux, aujourd’hui devenus célèbres :

Du côté de chez Swann (1913), Marcel Proust :

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

L’Étranger (1942), Albert Camus :

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : “Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »

Le Torrent (1950) Anne Hébert :

« J’étais un enfant dépossédé du monde. Par le décret d’une volonté antérieure à la mienne, je devais renoncer à toute possession en cette vie. Je touchais au monde par fragments, ceux-là seuls qui m’étaient immédiatement indispensables, et enlevés aussitôt leur utilité terminée; le cahier que je devais ouvrir, pas même la table sur laquelle il se trouvait; le coin d’étable à nettoyer, non la poule qui se perchait sur la fenêtre; et jamais, jamais la campagne offerte par la fenêtre. Je voyais la grande main de ma mère quand elle se levait sur moi, mais je n’apercevais pas ma mère en entier, de pied en cap. J’avais seulement le sentiment de sa terrible grandeur qui me glaçait. »

Différents types d’incipit

L’incipit statique

C’est celui qui, grâce à d’habiles descriptions, campe avec habileté le décor, l’ambiance et les personnages. Il amorce les choses en douceur, généralement par la situation initiale, avant que ne survienne l’élément déclencheur. Ce pourrait être l’incipit, par exemple, qui dépeint le calme avant la tempête.

L’incipit progressif

Tout comme le précédent, celui-ci présente les personnages et le contexte, avant l’entrée en action, mais il se distingue en ne livrant quant à lui l’information qu’au compte-gouttes, en créant certaines zones d’ombres propres à intriguer le lecteur. Bref, il prend des allures de préliminaires; il en offre juste assez… mais pas trop, afin de stimuler le désir de la lecture.

Incipit dynamique ou « in media res »

Ce type d’incipit plonge d’emblée le lecteur au cœur de l’action. Il éclipse la situation initiale. Soit la narration a choisi de passer celle-ci sous silence, soit elle y reviendra un peu plus tard dans le récit. Ce genre d’incipit pourrait être celui, par exemple, d’un roman qui s’ouvre sur un personnage en fuite, ou encore sur la réplique d’un personnage alors que l’on ne sait pas à qui ni à quoi il répond. On le découvrira dans les lignes et les pages suivantes, et c’est spécialement ce qui pique notre curiosité pour la suite des choses.

Incipit suspensif

C’est l’incipit qui retarde l’entrée en action, soit en déroutant le lecteur et en semant la confusion dans son esprit, soit en lui offrant une lente (et parfois laborieuse!) introduction avant l’entrée dans le vif du sujet. Ce pourrait être le cas, par exemple, d’un roman qui commencerait par la présentation exhaustive de la généalogie d’une dynastie avant de commencer vraiment le récit (comme c’est le cas de La princesse de Clèves, par exemple), mais il faut dire c’est peu commun, de nos jours, car le lecteur contemporain, habitué à l’action et au sensationnalisme des productions télévisuelles et cinématographiques, n’a plus la patience du lecteur d’antan…

Les caractéristiques d’un incipit réussi

Voici les principales fonctions de l’incipit à partir desquelles on peut juger de la pertinence et de l’efficacité de celui-ci :

Informer

En ouvrant le livre à la première page, et en lisant les premières lignes, le lecteur devrait être en mesure d’identifier quelques éléments importants du texte tels que le sujet du livre, les personnages principaux, la temporalité du récit et le contexte de celui-ci.

Intriguer

Les premiers paragraphes d’un livre ont pour objectif de séduire le lecteur en introduisant d’emblée un scénario prégnant. De cette manière, le lecteur pourra anticiper la singularité du récit et, surtout, il aura envie de poursuivre sa lecture afin de découvrir la suite des choses.

Annoncer le genre et le ton

L’incipit sert généralement à laisser entrevoir au lecteur de quel genre littéraire il s’agit. Il va sans dire qu’un roman jeunesse, un roman policier, un roman d’amour ou de science-fiction présentent des caractéristiques fort différentes qui seront mises en relief par le choix du vocabulaire et le style d’écriture qui, d’emblée, conféreront le ton approprié au texte.

Pourquoi l’incipit est-il si important?

Le lecteur pressé, celui qui — à la librairie ou dans une bibliothèque — feuillette les ouvrages afin de déterminer son choix de lecture, ne lira peut-être que les quelques premières lignes du texte avant de prendre sa décision.

Entre un roman qui commence par un chapelet de phrases banales et un autre qui accroche la curiosité du lecteur en lui proposant une phrase bien intrigante, le choix est vite fait. Le lecteur sent qu’avec ce second livre, il ne s’ennuiera pas. Dites-vous bien que si le lecteur-consommateur procède de cette manière, l’éditeur qui croule sous le poids des manuscrits est d’abord et avant tout lui-même un lecteur, et qu’il possède les mêmes réflexes de lecture…

Comme en musique, l’incipit est le « la » qui donne le ton. C’est sur lui que repose la toute première impression de lecture, celle qui donnera envie au lecteur de se caler dans un fauteuil et de n’être pas dérangé pour les prochaines heures, celle qui laissera entendre que ce récit se distingue des autres qu’on a lus précédemment et qui ouvre les portes vers quelque chose de nouveau et, espérons-le, d’inattendu.

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