Vous est-il arrivé de prendre un raccourci pour exprimer brusquement une idée, quitte à rompre la cohérence d’une phrase ? Avez-vous parfois bifurqué en cours de rédaction pour inventer une chute inédite ? Si oui, vous avez peut-être employé l’anacoluthe, cette figure de style à deux visages – l’un maladroit, l’autre recherché – qui donne un tour inattendu à une phrase soudain déviée de sa trajectoire initiale. Est-ce une faute ? Une audace stylistique ? Les deux à la fois ! Rassurez-vous : l’anacoluthe est plus fréquente qu’on ne le pense. On la retrouve dans nombre d’écrits, chez les débutants comme chez les grands auteurs.
Qu’est-ce que l’anacoluthe ?
C’est une rupture dans la construction d’une phrase qui vient en raccourcir la logique et en perturber la compréhension immédiate. L’anacoluthe a tôt été identifiée par les auteurs antiques : le terme vient du bas latin anacoluthon (qui signifie «absence de suite logique»), un mot emprunté au grec ancien anakólouthos («qui n’est pas conséquent») formé à partir du privatif «an» et du nom «akólouthos» («le suiveur», «l’acolyte»). Anacoluthe signifie donc littéralement : «celui qui ne suit pas».
Victime de son succès au XVIIe siècle, l’anacoluthe est aujourd’hui méconnue. Aussi est-il important de savoir l’identifier et de bien l’évaluer pour décider en connaissance de cause s’il convient de la corriger ou, au contraire, de la mettre en valeur.
La problématique de l’anacoluthe
Lorsqu’elle est employée involontairement, l’anacoluthe est considérée comme une faute grammaticale, une erreur de syntaxe, voire comme une déviation du raisonnement. En voici quelques exemples :
«Arrivée à la maison, le téléphone a sonné». À l’évidence, ce n’est pas le téléphone qui est arrivé ! Le sujet sous-entendu (la personne arrivée à la maison) n’est pas le même que celui de la phrase principale (le téléphone). Il convient alors d’écrire : «Lorsqu’elle est arrivée à la maison, le téléphone a sonné» ou «Le téléphone a sonné à l’instant où elle est arrivée à la maison».
«Elena, comme sa sœur Anna, sont originaires d’Italie». Jusqu’ici, tout semble normal, ou presque ! En regardant la phrase de plus près, on remarque que le sujet de la phrase – isolé par une virgule – est Elena et non elle et sa sœur Anna. Le verbe être doit s’accorder au singulier. La formulation rectifiée donne : «Elena, comme sa sœur Anna, est originaire d’Italie».
«En prenant place à bord du train, ses voisins ont frémi». Étrange situation : on ne sait pas qui a pris place à bord du train ; difficile alors de comprendre pourquoi les voisins du passager inconnu frémissent. Le contexte requiert qu’on précise l’identité du sujet sous-entendu : «Le monstre ayant pris place à bord du train, ses voisins ont frémi».
«Traducteur trilingue, les textes que je révèle sont appréciés des lecteurs». L’apposition «traducteur trilingue» devrait être immédiatement suivie du sujet de la phrase auquel elle se rapporte. La phrase corrigée devrait se lire ainsi : «Traducteur trilingue, je révèle des textes appréciés des lecteurs».
«Hôtesse de l’air sur un vol transatlantique, mes nuits sont longues à cause du décalage horaire». Ici l’anacoluthe se fond dans le paysage aérien… Il conviendrait d’écrire : «Hôtesse de l’air sur un vol transatlantique, je trouve les nuits longues à cause du décalage horaire».
Employée avec un verbe à l’infinitif, l’anacoluthe se fait discrète, mais reste le plus souvent fautive : «Pour satisfaire votre curiosité, vous trouverez ci-après un exemple d’anacoluthe». Le sujet du verbe satisfaire n’est pas le même que celui de la phrase principale. D’où la rectification suivante : «Vous trouverez ci-après un exemple d’anacoluthe, lequel pourra satisfaire votre curiosité».
Enfin les consignes officielles, rédigées dans un jargon bureaucratique souvent contraignant, regorgent d’anacoluthes involontaires. On en retrouve dans les formulaires employant des injonctions : «Afin de réduire la propagation du virus, les voyageurs doivent désormais se placer en quarantaine». La responsabilité de réduire la propagation du virus n’appartenant pas, grammaticalement parlant, aux voyageurs, mais à l’autorité chargée de faire respecter certaines mesures, on écrira donc : «Afin de réduire la propagation du virus, le gouvernement demande désormais aux voyageurs de se placer en quarantaine».
L’anacoluthe et ses effets désirés
Mais que faire si le génie de la poésie vous inspire de commencer une phrase pour la finir autrement ? Utilisée de façon délibérée, l’anacoluthe peut aussi être, contrairement aux exemples précédents, une figure de style recherchée. En créant un effet de surprise, elle peut aller jusqu’à désorienter le lecteur. Une fois affranchie des règles habituelles, l’anacoluthe accentue l’expressivité poétique. Elle peut alors contribuer au style particulier de l’auteur.
Les auteurs classiques sont passés maîtres dans l’art de capter l’attention en créant, outre la surprise, un effet dramatique. «Voulez-vous que ce Dieu vous comble de bienfaits / et ne l’aimer jamais ?», s’écrie une Voix seule face au Chœur dans Athalie (Racine). Deux segments de phrases («que ce Dieu vous comble» et «ne l’aimer jamais») complètent différemment le verbe vouloir.
Parfois l’anacoluthe poétique omet un mot pour créer une ellipse, comme dans cette phrase de Don Juan (Molière) : «La naissance n’est rien où la vertu n’est pas». Il manque un «là» qui aurait équilibré la phrase.
Dans son poème L’Albatros, Baudelaire nous offre un autre exemple d’anacoluthe majestueux : «Exilé sur le sol au milieu des huées / Ses ailes de géant l’empêchent de marcher». Ses ailes ne sont pourtant pas exilées…
Alors, l’anacoluthe : à prendre ou à laisser ?
Qu’elle soit indésirable ou voulue, l’anacoluthe bouscule toute logique attendue, déstabilise rythme et pensée. Habituez-vous à la débusquer au détour d’une phrase. Retournez-la. Chassez-la d’abord, pour ensuite la laisser revenir, comme le naturel, au grand galop !
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