Genre parfois déroutant, souvent confondu avec le fantastique ou la science-fiction, le réalisme magique est difficile à définir puisqu’il se situe à la croisée de ces deux genres, mais aussi de plusieurs influences artistiques et culturelles. Tour d’horizon de l’un des courants littéraires les plus singuliers ayant émergé au XXe siècle.

Un genre d’abord visuel

Le réalisme magique est théorisé pour la première fois en 1925 par Franz Roh, un critique d’art allemand, au sujet d’œuvres picturales au réalisme soigné, mais dont le choix de perspective ou la construction suggèrent la présence d’une réalité fantasmée ou étrange. Ce nouveau genre ne tarde pas à essaimer et à influencer le travail de nombreux écrivains, particulièrement en Amérique latine (pensons à Gabriel Garcia Marquez ou Julio Cortázar, par exemple).

Le Muse inquietanti

Giorgio de Chirico, un peintre italien, a fortement influencé l’esthétique du réalisme magique décrite par Roh. Cette toile, Le Muse inquietanti, peinte durant la Première Guerre mondiale, déforme la représentation des muses antiques, ce qui suggère l’étrange et l’insolite.

Une frontière brouillée entre le réel et l’imaginaire

La principale caractéristique du réalisme magique est de mettre en scène des récits dans lesquels l’imaginaire émerge au cœur de la trame réaliste. Dans « Tlön, Uqbar, Orbis Tersius », de Jorge Luis Borges (1), le narrateur découvre, en feuilletant une encyclopédie, une entrée concernant un pays mystérieux dont il n’a jamais entendu parler auparavant : Uqbar. Au fil de son enquête pour mettre au jour cette contrée étrangère, il fréquentera d’illustres personnages et mettra au jour une conspiration d’intellectuels, l’amenant à douter de la réalité elle-même.

Dans cette nouvelle, il y a un équilibre entre la représentation réaliste (contexte banal de la découverte, mise en scène de personnages historiques fictionnalisés, recherche érudite) et les faits imaginaires (existence d’un pays inconnu, voire d’une réalité parallèle). Cet équilibre est primordial et distingue le réalisme magique d’autres courants, comme le surréalisme, qui affiche ostensiblement sa volonté de remettre en question le réel en usant du rêve, de la psyché et de l’inconscient.

Le fantastique perçu comme ordinaire

Dans les œuvres réalistes magiques, les manifestations paranormales ou surnaturelles ne sont aucunement contestées par les personnages. Une apparition fantomatique ira de soi et personne ne s’en formalisera. Nous pourrions dire du fantastique qu’il est banalisé. Dans La métamorphose, de Franz Kafka, on ne s’étonne pas que Gregor Samsa se transforme en insecte hideux. On ne cherche pas non plus à expliquer ou à justifier la cause de cette métamorphose. Kafka s’intéresse aux conséquences sur la vie du malheureux.

Le lecteur doit remettre en question sa propre perception du réel pour considérer ces phénomènes comme normaux, dans l’univers du livre, ce qui n’est pas sans créer un fort effet d’étrangeté. Surtout que les causes de ces phénomènes ne seront jamais explicitées. Cela distingue le réalisme magique du genre fantastique ou de la science-fiction, dans lesquels ces manifestations sortant de l’ordinaire seront justifiées par les personnages ou représenteront un point de bascule de l’intrigue (le moment où Harry Potter découvre l’existence du monde de la magie, par exemple.)

Une grande implication du lecteur

En remettant constamment en question sa perception « rationnelle » du monde, le lecteur d’une œuvre réaliste magique s’éloigne d’une lecture « passive ». Chaque élément du texte contient potentiellement une face cachée, mystérieuse, qu’il est inutile de chercher à rationaliser (contrairement à ce qui est admis dans la réalité). Le lecteur s’interroge donc constamment sur sa conception du réel, mais aussi sur le rôle de la fiction et ses limites. Certains auteurs profiteront du fait que le lecteur s’abîme dans le texte pour tenter de le dérouter. Dans la nouvelle « La mort exquise », du recueil éponyme de Claude Mathieu, tout semble mis en place pour faire croire au lecteur que le botaniste Hermann Klock souffre d’une forme de démence qu’il l’amène à oublier jusqu’à son propre nom. Le lecteur tente, à travers les bribes de souvenirs distillés par le narrateur, de reconstituer la vie de l’illustre homme et de sa quête d’une fleur exotique très rare. C’est à la toute fin que l’on comprend que le scientifique divague, au seuil de la mort, alors qu’une plante carnivore gigantesque le digère.

Le réalisme magique, un genre subversif

Les mondes parallèles proposés par les œuvres réalistes magiques permettent aussi de redonner une forme de pouvoir aux marginaux et aux opprimés, en plus de critiquer l’ordre établi et les dérives des puissants. Dans Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez, le conte se mélange à la narration romanesque pour dépeindre l’histoire du village de Macondo, créé de toute pièce au cœur de la jungle colombienne par la famille Buendia. On suivra les aventures de cette dernière au fil des ans, alors que Macondo se développe d’abord modestement et que de mystérieux phénomènes s’y produisent. Lorsque le monde extérieur découvre l’existence du village, ce dernier prospère en même temps que s’y enracinent différents progrès techniques et des influences politiques qui ne cadrent pas avec la réalité bien spécifique de cette communauté. En découleront, entre autres événements tragiques, une guerre civile et des exactions contre des grévistes de la part de soldats.

Malgré le développement d’éléments fantastiques au sein d’un monde réaliste, le lecteur peut voir se développer une critique des mouvements de colonisation portés par les puissances européennes en Amérique latine, autant qu’une dénonciation de la voracité des sociétés capitalistes et la cruauté des régimes militaires. Les ressors du réalisme magique permettent au lecteur de prendre du recul par rapport à la réalité et de réfléchir à des enjeux bien tangibles. On observe la même dynamique dans le film Pan’s Labyrinth, de Guillermo del Toro, dans lequel le monde imaginaire de la jeune Ofelia se juxtapose à la brutale réalité de l’Espagne après la guerre civile.

Retenons que le réalisme magique est un genre qui se développe tout en subtilité, en équilibre entre le réalisme et le fantastique. C’est précisément ce qui provoque le sentiment d’étrangeté et de dépaysement que le lecteur apprécie tant ! Il ne s’agit pas pour autant d’un genre léger, puisqu’il offre l’opportunité à l’auteur de rendre compte de son temps et d’en critiquer les dérives.

(1) Jorge Luis Borges, Fictions, Paris, Gallimard (Coll. Folio), 2018, 185 p.

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