Comment éviter l’appropriation culturelle ? C’est la question qui taraude beaucoup d’auteurs contemporains. Cette préoccupation qui émerge dans la collectivité occidentale, ces dernières années, impose aux créateurs de bien réfléchir avant d’entreprendre un projet de création littéraire qui implique, de près ou de loin, d’autres communautés culturelles que la leur.

Merci à Nora Atalla, Stanley Péan et Hada Lopez, écrivains de la diversité culturelle québécoise, d’avoir accepté de nous livrer brièvement leur réflexion et leurs conseils à ce sujet.

L’appropriation culturelle, un sujet brûlant d’actualité

On peut avoir l’impression de marcher sur des œufs tant le sujet est sensible. Effrayés par les vives réactions à ce sujet, des auteurs choisissent de reléguer aux oubliettes certains projets d’écriture, sinon de les modifier considérablement, de crainte de se faire vertement accuser d’appropriation culturelle.

Mais qu’est-ce que l’appropriation culturelle, au juste ? Y a-t-il des nuances à faire à ce sujet ? Quels sont les éléments de considération sur lesquels il conviendrait de se pencher avant de plonger dans un projet de rédaction ou d’apposer cette étiquette à un texte de création littéraire ?

Voilà un sujet fort délicat qui suscite de plus en plus de débats dans le monde de la littérature. On ne prétend évidemment pas faire ici le tour de la question, car il y aurait mille et une choses à dire sur le sujet ; mais puisqu’il est important, en tant qu’auteur, de comprendre ce que cela signifie et quels sont les risques afférents, voici un peu de matière à réflexion.

Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?

Selon l’Office québécois de la langue française, l’appropriation culturelle consiste en une « utilisation, par une personne ou un groupe de personnes, d’éléments culturels appartenant à une autre culture, généralement minoritaire, d’une manière qui est jugée offensante, abusive ou inappropriée. »

Ce ne serait donc pas l’incorporation d’éléments culturels dans une œuvre littéraire en tant que telle qui poserait un problème, mais, surtout, la manière dont cette intégration est effectuée ; est-ce offensant ; est-ce abusif ; inapproprié ?

Pourquoi l’appropriation culturelle pose-t-elle un problème ?

L’appropriation culturelle pose un problème lorsqu’une mauvaise compréhension de la culture représentée conduit à une représentation biaisée, voire stéréotypée de celle-ci. Cette mésinterprétation peut en effet contribuer, parfois involontairement, à la perpétuation de préjugés nuisibles non seulement à la communauté concernée, mais aussi à chacun des individus qui la compose. Dans certains cas, selon l’utilisation qui est faite des éléments culturels en question, cela peut même être perçu comme une forme d’exploitation voire le prolongement d’un rapport de domination coloniale.

Comment éviter l’appropriation culturelle dans vos écrits ?

Les principales questions auxquelles vous devriez vous appliquer à répondre le plus honnêtement possible, au moment d’envisager un projet d’écriture incorporant des éléments culturels qui ne font pas partie de votre propre culture, concernent d’emblée vos motivations profondes (sommairement : le sujet me tient-il vraiment à cœur ou si je souhaite simplement profiter d’une thématique « à la mode » ?) et les précautions que vous comptez prendre (par exemple, effectuer des recherches approfondies, avoir recours à un lecteur sensible, etc.) afin de ne pas nuire à la culture représentée.

Pour éviter l’appropriation culturelle dans vos écrits, il importe donc de réfléchir à vos motivations, d’effectuer des recherches approfondies et de vous assurer de bien comprendre la signification et l’importance des éléments culturels que vous comptez intégrer à votre œuvre littéraire. Vous pouvez également travailler avec des experts ou des membres de la communauté pour vous assurer que vous représentez correctement leur culture.

Conseils de quelques écrivains issus de la diversité

À la lumière de ces considérations, il semble que toute incorporation d’éléments culturels étrangers à notre propre culture ne constitue pas forcément une appropriation culturelle.

Nora Atalla – Crédit photo – Yann Gachet, Villa Bloch, Poitiers, avril 2023

Une fois que l’auteur a réfléchi à ses motifs, qu’il est convaincu de la pertinence et de la légitimité de ceux-ci, il ne devrait pas, selon l’écrivaine d’origine gréco-libanaise et franco-géorgienne, Nora Atalla, se laisser intimider par les risques encourus : « Je peux comprendre que ce soit aujourd’hui une préoccupation pour les nouveaux auteurs, considérant les tendances du wokisme, de la cancel culture et des revendications des minorités, qui sont moussées sur les réseaux sociaux et dans les médias. »  Elle se demande toutefois si — une fois que l’auteur a pris soin de réfléchir à la question — ce n’est pas l’affaire de l’éditeur de décider ce qu’il veut publier et du lecteur ce qu’il veut lire. Elle préférerait moins de pression sociale et une plus grande liberté de choix : « Sommes-nous des enfants qui nécessitent l’opinion publique pour nous guider dans nos choix de lecture et dans nos processus de création ? »

Elle constate néanmoins que, malgré toutes les précautions que l’on pourrait prendre, la question demeure : « Si on s’aventure à raconter des histoires ailleurs que chez soi, trouvera-t-on un éditeur qui nous publiera dans ce climat social ? Comment réagira le lectorat ? Comment réagira la critique ? À ces questions qu’on me pose, que chacun se pose désormais, ma réponse sera toujours la même : il faut avoir le courage de ce qu’on avance. C’est à l’auteur de faire ses choix. Écrira-t-il pour ses convictions ou pour plaire aux autres ? Doit-il reculer devant les réseaux sociaux qui risquent de lui jeter la pierre, être grossiers ou vulgaires à son sujet et même menaçants à son égard ? » L’auteur qui réfléchit à la question de l’appropriation culturelle devrait donc, selon elle, incorporer à sa réflexion sa capacité d’assumer ses écrits et d’affronter, s’il y a lieu, l’opinion publique.

Stanley Péan

Stanley Péan, écrivain québécois d’origine haïtienne, abonde en ce sens : « Tout ce débat autour de “l’appropriation culturelle” me lasse. Ma position, très candide, c’est que l’ensemble de l’expérience humaine transcende les divisions artificielles basées sur la race, le sexe, la religion, la couleur des cheveux. Un créateur, une créatrice, devrait d’emblée pouvoir puiser dans tous les héritages culturels. Personnellement, en tant que membre de ce que l’on appelle une minorité, ma seule prescription adressée à un ou une artiste issu de ce qu’on qualifierait d’une culture dite dominante (les nations au passé colonialiste), c’est qu’il fasse montre de respect à l’égard de la culture de l’Autre dont il est question. »

Hada Lopez

L’écrivaine québécoise d’origine salvadorienne, Hada Lopez, est également d’avis qu’il faut avoir le courage d’écrire malgré les craintes qui surgissent à ce sujet : « Vous rêvez de traiter d’un sujet qui tient ses origines dans une autre culture ? D’un sujet qui vous interpelle ou qui vous passionne ? Je vous conseille une seule chose, faites-le ! Faites-le avec du respect, sans idées préconçues ni banalités. Effectuez de recherches sérieuses qui vous permettront d’étayer vos propos. N’ayez pas peur, écrivez ! La littérature, la création, se doivent d’être sans frontières ni barrières. »

À cela, Hada ajoute : « À titre personnel, je ne m’empêcherais pas de traiter d’un sujet émanant de notre société “pure laine”, par peur de cette critique d’appropriation. Je vis ici depuis trente-huit ans, j’aime ce peuple de tout mon cœur, je connais son histoire, je vis ses enjeux. Je me sens québécoise tout autant que quiconque né sur ce territoire. »

Écrire de manière réfléchie, éclairée, respectueuse et assumée

Ce qu’il faut absolument garder en tête au sujet de l’appropriation culturelle, c’est qu’il importe de créer des histoires authentiques et inclusives qui célèbrent la diversité culturelle plutôt que de l’exploiter. En tant qu’auteur, vous avez le pouvoir de créer des histoires qui inspirent et éduquent, alors ne vous privez pas de le faire, mais… assurez-vous de le faire avec grand respect et sensibilité.

Si vous n’êtes pas sûr de savoir si vous devriez écrire sur une culture en particulier, prenez soin d’en discuter avec des gens issus de cette communauté en vue d’alimenter votre réflexion et d’approfondir votre connaissance du sujet. Si vous ne vous sentez pas confortable, cherchez des alternatives qui vous permettront de ne pas porter préjudice à la culture concernée tout en vous permettant d’écrire à ce sujet de manière consciente, respectueuse et assumée.

Lien complémentaire :

À écouter, en rediffusion, afin de poursuivre la réflexion : L’appropriation culturelle, un concept seulement occidental ? Épisode du 26 mai 2023 de l’émission Pas faits en chocolat, avec Rebecca Makonnen.

N.B. Il est interdit de reproduire ce texte, en entier ou en partie, sans avoir obtenu notre autorisation.

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